Historique

Née en 1944

Chose curieuse ou détail horrifique, la date de fondation de l’Association des écrivains vaudois (qui devint plus tard l’Association vaudoise des écrivains) est totalement inconnue! Certes, on sait que la première assemblée générale eut lieu le 11 novembre 1944, mais un comité devait déjà exister depuis quelques mois, comme en témoigne ce début d’une lettre du 4 octobre signée par la secrétaire: “Comme certainement le Comité ne va pas tarder à se réunir…” Une autre lettre, de René Borchanne, du 27 octobre, est adressée à Paul Budry, “président de l’A.E.V.”.

Il est donc indéniable que quelques écrivains, groupés autour de Budry, ont fondé l’Association dans le courant de l’été 1944. Mais aucune trace n’est restée de leurs débats. Nous considérons donc que le 11 novembre 1944 marque la naissance officielle de l’Association.

Ils étaient quarante

La presse romande rendit compte de l’événement. Le journal lausannois L’Action, du 17 novembre, se référant à un communiqué du “service de presse de l’Association des écrivains vaudois”, le présenta de manière quelque peu irrévérencieuse, sous le titre “Académie vaudoise”:
“Ils sont quarante comme à l’Académie française. La bonne nouvelle s’en est répandue, le 11 novembre, à travers le canton de Vaud. Nos populations de la ville et de la campagne ne se savaient pas si riches en écrivains. Le fait est qu’ils sont quarante et qu’ils ont fondé une association. Le communiqué ne dit pas si les femmes sont admises”.
Un peu plus loin, nous trouvons ces lignes: “M. Paul Budry a présidé les débats, qui ont duré quatre heures “d’horloge”. L’élégance de l’expression n’a pas manqué de frapper le lecteur du communiqué. L’assemblée a voté une adresse de sympathie aux écrivains de la France libérée.

Comme un grand nombre d’écrivains collaborationnistes ont été mis à l’index par leurs confrères de la Résistance, l’adresse de sympathie n’est sans doute destinée, en toute neutralité, qu’aux ayants droit.”

Cet article, jugé peu sérieux, valut à son rédacteur, Florian Delhorbe, une lettre du président Paul Budry, lui enjoignant de publier sa propre version. Ce qui fut fait.

Budry écrivait: “Que l’Association est tout autre chose qu’une Académie, la lecture des statuts vous en aurait informé, si votre empressement à lire était égal à celui de vous faire lire. Il s’agit d’un groupement professionnel destiné à défendre des intérêts strictement professionnels, comme ceux dont vous prenez volontiers la défense quand il s’agit d’un autre métier que le nôtre. (…) Mais sans doute préférez-vous ajouter à vos satisfactions d’auteur celle de ridiculiser une association de confrères qui se propose d’améliorer la condition des écrivains moins industrieux que vous-même”.

Comme on le voit, la naissance de l’Association ne s’est pas faite sans remous! Pour mettre fin à la polémique, Delhorbe écrivit à Budry une lettre d’excuses, sur le ton de l’amitié: “Je regrette de n’avoir pas causé avec toi avant de lâcher ce petit papier. (…) Quand j’ai lu le communiqué de cette association d’écrivains, j’avais perdu de vue depuis un an que c’étaient des copains.”

Ce qui n’empêcha pas le repenti de faire précéder le rectificatif de Budry d’un “chapeau” où il disait ceci: “Il nous plaît d’être irrespectueux, c’est le plus grand service qu’on puisse rendre présentement dans un pays voué au conformisme. (…) L’activité d’une association est toujours un peu comique, toutes personnes mises à part…”

Nous laisserons à Florian Delhorbe la responsabilité de ses aménités. Les journaux romands, dans leur ensemble, rendirent compte de la séance de fondation plus brièvement que L’Action, en reprenant fidèlement les termes du communiqué, mais en éliminant à l’unanimité la fameuse expression “quatre heures d’horloge”!

On reconnaîtra cependant que les propos du bouillant rédacteur, à travers une ironie peu justifiée en l’occurrence, contenaient quelques grains de bon sens… Certaines piques feraient encore mouche de nos jours. Mais faut-il regretter le temps où les journalistes asticotaient les auteurs? La question reste ouverte…

Les débuts

Puisque j’ai abordé l’histoire de notre Association par le biais des échanges épistolaires, je citerai encore cette lettre de la secrétaire d’alors, Marguerite Buvelot, adressée vraisemblablement au président: “Me voilà prise avec une névrite. Bras droit, bien entendu. Dans ces conditions, il me faut vous demander de bien vouloir me remplacer. A tout hasard, je vous suggère de penser à Berthe Vulliemin. (…) Je la crois rapide, experte, très à son affaire, et en tout cas moins gourde que moi. (…) Je m’excuse vivement de ce contretemps; mais à parler vrai, vous me ferez des condoléances et moi je vous féliciterai, car j’étais une fichue secrétaire.”
Elle resta néanmoins secrétaire, signant désormais de son nom de plume, Hélène Champvent. Quant à Berthe Vulliemin, son souvenir se perpétue au sein de l’association, puisqu’elle légua à l’AVE un capital destiné à l’aide à la publication, dont bénéficièrent maints de nos membres.

On peut se demander qui étaient les quarante membres fondateurs. Au fil de la correspondance et des procès-verbaux, on relève quelques noms, à défaut de les retrouver tous: Daniel Simond, Emmanuel Buenzod, Henri Perrochon (qui deviendra président après Budry), Léon Savary, Gustave Roud, Jean Gabus, le Dr René Burnand… et Ramuz, dont nous avons un procès-verbal, écrit de sa main, sans date mais probablement de 1945. Les auteurs dramatiques (qui avaient d’ailleurs leur propre société romande dès 1940) étaient représentés par Alfred Gehri, Albert Verly, Jean Nicollier, Robert Chessex (à qui l’on doit l’une des premières pièces radiophoniques diffusées sur nos ondes), William Thomi, Francis Bernier. Le nom de René Morax n’apparaît pas.
Les objectifs de la jeune association semblent très précis. Le communiqué du 11 novembre le dit: “Diverses commissions d’information et de surveillance ont été instituées, ainsi qu’un service juridique et un service de recouvrements. Il a été décidé de constituer un fichier bibliographique complet des écrivains vaudois contemporains, et d’organiser une fois l’an à Lausanne une Journée des écrivains, où se rencontreront familièrement les auteurs et les amis des lettres”. On avait le sens de l’organisation, à l’époque!
Il ne semble pas que les multiples commissions mises sur pied aient eu une vie très longue. D’ailleurs, la société va connaître très tôt des mutations importantes. La nouvelle secrétaire, Hélène Champvent, démissionne en 1945, avec le président Budry. Le nouveau président, Henri Perrochon, historien, privat-docent à l’Université, professeur au Collège de Payerne, conférencier infatigable et chroniqueur intarissable des lettres romandes, battit tous les records de longévité, puisqu’il resta à la tête de l’Association jusqu’en 1969, soit durant 24 ans! Il mourut en 1990, à l’âge de 91 ans, laissant le souvenir d’un président tout de distinction, d’érudition et d’humour.

Rendez-vous littéraires

Dès sa création, l’Association désira que le public se familiarise avec les oeuvres des auteurs vaudois et côtoie les créateurs. Ainsi naquirent les Journées du livre vaudois, au cours desquelles les écrivains pouvaient vendre et dédicacer leurs livres. Organisées tous les trois ou quatre ans, elles constituaient au début un événement littéraire sinon mondain. On y vit même en 1962 un Vaudois d’adoption nommé Georges Simenon. En 1987 et en 1990, elles prirent une ampleur inaccoutumée, en s’étalant sur plusieurs jours au Forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne.

Une autre initiative, allant dans le même sens, fut d’instituer des séances de lecture et de présentation de livres. Ces Rendez-vous littéraires connurent leurs heures de gloire entre 1983 et 1989. A cette époque, ils étaient devenu réguliers (le 15 de chaque mois) et avaient lieu au Café romand, dans une atmosphère pas toujours sereine, mais certainement chaleureuse. Ils finirent par quitter le Café romand, pour continuer, plus ou moins régulièrement en saison hivernale, dans des lieux plus feutrés.

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Une belle occasion de rappeler au public l’existence des écrivains vaudois, c’est aussi la remise du prix accordé par notre société à ceux de ses membres dont l’oeuvre a acquis une importance certaine. Le premier lauréat du Prix du livre vaudois fut William Thomi, qui le reçut à titre posthume en 1950, car il était mort l’année précédente.

Devenu annuel dès 1981, il fut distribué plus de vingt fois en un demi-siècle et perdure aujourd’hui sous le nom de Prix des écrivains vaudois, alimenté par divers mécènes.

Il faut signaler aussi la création en 1986 de la revue Sillages, qui fut près de vingt ans un lien indispensable entre nos membres ainsi qu’un ambassadeur auprès de confrères et de lecteurs plus lointains.

Ouvertures

Lorsque l’Association fut fondée, la guerre sévissait encore. Les écrivains suisses venaient de vivre une période qui leur avait permis de prendre conscience de leur rôle et de leurs responsabilités, dans un pays où leurs voix avaient pu se faire entendre librement. Nous savons que les auteurs vaudois d’alors avaient eu une pensée de sympathie pour leurs confrères français. Mais il leur importait de se tenir les coudes et de lutter pour que leur statut de professionnels soit reconnu.

Les buts premiers de l’Association étaient donc de maintenir la cohésion des écrivains du pays, d’encourager la création littéraire, par des concours ou l’octroi de subventions, et de la représenter, voire de les défendre. Petit à petit, elle est devenue une institution culturelle représentative, et les autorités politiques l’ont bien admis en lui accordant des subsides.

Mais elle ne pouvait, avec les années, se contenter de rassembler ses membres, et d’organiser occasionnellement des manifestations internes ou limitées au cercle restreint d’un groupe de sympathisants.

Aussi notre Association se rapprocha-t-elle des sociétés soeurs de Suisse romande, du Val d’Aoste, de la région Rhône-Alpes et de Savoie, pour mettre sur pied des rencontres qui prirent parfois l’ampleur de véritables fêtes. Même plus modestes parfois, elles permirent d’établir des liens entre créateurs et avec un public souvent surpris par le nombre, la diversité et la qualité des oeuvres présentées. L’AVE s’affilia en outre à la FIDELF, Fédération internationale des écrivains de langue française, qu’elle accueillit d’ailleurs à Lausanne pour son congrès de 1985.

Face à l’avenir

Nul ne sait ce que sera l’Association dans les années qui viennent. Elle subira sans doute des mutations. Son mode de fonctionnement, ses statuts peuvent changer, ses tâches se modifier. Il ne faudra voir en cette évolution qu’une preuve de vitalité. Les fondateurs de 1944 seraient heureux de constater que leurs successeurs ont renouvelé et diversifié les buts et les activités de l’Association, tout en restant fidèles à son principal objectif: défendre les intérêts de ceux qui écrivent.
L’Association n’est pas une académie, comme dut le préciser d’emblée son premier président; elle ne prétend pas détenir une autorité ni s’enfermer dans un style, fût-il le plus noble. Elle n’est pas non plus un club de loisirs visant à offrir à ses membres un environnement privilégié où cultiver l’amitié tout en pratiquant l’art d’écrire. Elle veut être un groupe de créateurs conscients des enjeux qu’implique le métier d’écrivain, car écrire suppose travail et exigence. A ce titre, elle veille aussi à ce que le statut d’écrivain soit reconnu, et elle s’emploie à lui assurer sa dignité.
C’est là sans doute une belle vocation, que les années ne sauraient émousser!

Jacques Bron

Présidences de l’AVE
1944-1945 Paul Budry
1945-1969 Henri Perrochon
1969-1976 Simone Cuendet
1976-1980 Jeanlouis Cornuz
1980-1983 Jean-Louis Peverelli
1983-1989 Francine-Charlotte Gehri
1989-1994 Jacques Bron
1994-1998 Jean-Michel Junod
1998-2003 Simone Collet
2003-2005 Mousse Boulanger
2005-2006 Gil Pidoux
2006-2007 Jean Grin (par intérim)
2007-2009 Frédéric Vallotton
2009-2011 Jacques Herman
2011-2015 Sabine Dormond
2015-2017 Olivier Chapuis
2017-2019 Sabine Dormond
Début 2019 Sylvie Ulmann
Fin 2019 Suzy Heim(par intérim)
Dès 2020 Marie-José Imsand
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